La ferme des Aygues est située au cœur de la vallée du Rieu, qui reste dominée par le vieux village de Montaulieu. Cette vallée, habitée au moins depuis le chasséen (-4200 ans avant JC), renferme de nombreux sites chargés d’histoire et de légendes. Si aujourd’hui, la vallée semble reculée, il n’en a rien été pendant longtemps : au nord passait une voie romaine qui empruntait la vallée puis les gorges de l’Eygues, alors que la vallée de Montaulieu servait d’itinéraire nord-sud entre les plaines du Comtat et le Diois, depuis Mérindol-les-Oliviers au sud et Condorcet au nord, en passant par les ponts de Curnier (disparu au milieu du XVe siècle) et celui des Pilles.
Une vallée occupée depuis plus de 6000 ans
Cette situation, à proximité d’axes de circulation, a favorisé l’implantation d’habitats nombreux et anciens. On peut donc dénombrer dans la vallée du Rieu au moins cinq sites d’habitat perché qui s’étendent depuis l’âge du bronze jusqu’à aujourd’hui.
Le site les plus ancien et le plus complexe est certainement Feuillans où on a retrouvé les traces d’occupations de l’âge du bronze, de l’époque antique (un fragment d’inscription est ainsi conservée au musée archéologique et historique de Nyons et des Baronnies), un castrum de l’époque médiévale (cité dans une charte de 1037).
Au sud de la vallée, mais sur la commune de Rochebrune, le castrum d’Esparron permettait de veiller sur les secteurs de la vallée de l’Ennuye (Sainte-Jalle) tout en ayant un contact visuel avec les castra de Condorcet (au nord) et de Peytieux, au sud (commune de Châteauneuf-de-Bordette). Sa position éminente en fait un site d’habitat comparable à ceux cités à la fin du Xe siècle et probablement abandonné aux siècles suivants pour des positions moins élevées mais plus proches des terroirs. L’actuel hameau du Villard, situé en contrebas à l’ouest de la butte fortifiée, est certainement l’héritier d’une agglomération associée à ce château.
Aux XIIe et XIIIe siècles, l’habitat se regroupe autour de nouveaux sites fortifiés, moins difficiles d’accès. La vallée se divise alors en trois petites seigneuries : Montaulieu (village actuel), Costechaude (qui récupère une partie du territoire du castrum de Feuillans) et Rocheblave (qui fait face à Esparron sur la rive gauche du Rieu). Ces trois seigneuries subsistent, plus ou moins liées entre elles, jusqu’à la Révolution et sont à l’origine du territoire communal actuel.
Les subdivisions religieuses sont tout aussi complexes. La majeure partie du territoire de Montaulieu dépendait du diocèse de Sisteron, à l’exception de Rocheblave dont le prieuré « rural », dédié à Saint-Denis était rattaché au diocèse de Vaison.
Dans le diocèse de Sisteron existaient plusieurs églises aux vocations et aux ressorts différents. A Feuillans, l’église Notre Dame est mentionnée dès le XIIe siècle La tradition orale locale précise qu’il s’agissait d’un ancien monastère rattaché à l’abbaye de Bodon (à Saint-May). A la même époque, l’église Saint-Auban, située dans la campagne (à proximité de l’actuel hameau de Saint-Aubanet), dépendait du castrum de Curnier. Le Rieu devait alors séparer les deux paroisses. Toutefois, au cours du Moyen Age, l’église Notre-Dame perd son statut d’église paroissiale alors même que le castrum de Feuillans est abandonné. L’église Saint-Auban devient, quant à elle, l’église paroissiale de Montaulieu. Rattachée aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, elle fut certainement construite à proximité d’une nécropole ou d’un habitat gallo-romain, repérés par de nombreuses traces de tegulae. Au début du XVIIe siècle, les textes indiquent qu’elle est détruite. On lui préfère alors la chapelle Saint-Jacques, située dans le village de Montaulieu et qui était la chapelle castrale médiévale. A Costechaude, l’église Saint-Christophe desservait ce castrum mais elle était rattachée au prieuré des Pilles.
Une vallée riche pour la géologie et l’exploitation minière
A l’instar du massif des Baronnies, les reliefs de la vallée de Montaulieu sont essentiellement issus du plissement, à l’ère tertiaire, de sédiments accumulés au fond d’une fosse marine (la fosse vocontienne) pendant l’ère secondaire, essentiellement au cours du Jurassique et du Crétacé (il y a entre 203 et 65 millions d’années).
Cette histoire géologique fait ainsi de cette région un terrain d’investigation privilégié pour les géologues, spécialistes de l’ère secondaire avec des sites reconnus internationalement comme celui du Serre de l’Ane (La Charce), des marnes du Risou et des boules de grès du Serre d’Autruy (Saint-André-de-Rosans) ou de Vergol (Montbrun-les-Bains).
Petite histoire géologique de la vallée de Montaulieu
Les parois rocheuses qui bordent la vallée (L’Ubac et l’Aiguillette à l’est, Autuche et Trolepuy à l’ouest) sont formées par une roche calcaire dure, le tithonique, formée au Portlandien (146-141 millions d’années). Lors de la poussée du tertiaire, cette strate de calcaire dur s’est cassée, les couches plus récentes étant rejetées à l’est (vallée d’Arpavon), au sud (commune de Rochebrune) et à l’ouest (vallée de Chateauneuf-de-Bordette). Cette cassure, ainsi que l’érosion, ont dégagé les couches géologiques plus anciennes de l’oxfordien (154-146 millions d’années), du callovien (160-154 millions d’années) et du bathonien (164-160 millions d’années) qui ont formé l’essentiel des sols de la vallée de Montaulieu. Sous la pression, ces mouvements ont également entraîné la « remontée » de terrains plus souples, issus du Trias et qui forment aujourd’hui les montagnes de Piétavin et de la Blache au nord-ouest de la commune.
A l’ère tertiaire, au Miocène (il y a entre quinze et vingt millions d’années), certaines vallées, dont celle de Montaulieu, sont immergées par une mer chaude, de faible profondeur, au fond de laquelle s’amoncelle des sédiments riches en coquillages qui ont donné un calcaire détritique, appelé « calcaire burdigalien ». A Montaulieu, ce calcaire a formé les plusieurs buttes dont celle de Coste-Chaude.
Enfin, il ne faut pas oublier l’érosion, notamment causée par le ruissellement des eaux, qui a abouti à la formation de nombreux éboulis sur les pentes des montagnes et de petites plaines alluviales aux abords du cours du Rieu.
Des ressources du sol exploitées pendant longtemps
Le territoire de Montaulieu est en fait situé dans un secteur qui s’étend le long d’une bande de trois kilomètres au maximum d’est en ouest et d’une dizaine de kilomètre, du nord au sud, entre Propiac-les-Bains au sud et Condorcet au nord, en passant par Bénivay-Ollon, le sud-ouest de la commune de Rochebrune et Montaulieu. Dans tout ce secteur, les bouleversements géologiques de l’ère tertiaire ont ainsi mis au jour des couches géologiques qui étaient particulièrement intéressantes pour l’exploitation minière.
Les couches du Trias ont ainsi été exploitées pour le gypse dont est issus le plâtre. A Montaulieu, plusieurs carrières, parfois appelées « les Gipières » sont encore signalées au XIXe siècle dans les secteur du Vigier, de la Tuillière et de Rocheblave.
L’existence de filons ferreux, dans les couches du Trias, a également suscité une activité d’extraction et de transformation du fer, et dont témoignent le toponyme « Les Ferrières » ainsi que la découverte de scories ferreuses aux abords de ce quartier.
A l’instar des mines de plomb argentifères de Condorcet, une demande d’exploitation pour une mine de plomb argentifère fut déposée vers 1860 pour exploiter des secteurs issus du Callovien, au nord du village et à proximité du Rieu.
Enfin, au-dessus de la ferme des Aygues (nom qui signifie eau), une source chargée en calcaire a contribué à la création de tuf, une pierre appréciée dans la maçonnerie traditionnelle pour sa légèreté et la facilité de sa taille (elle se taille à scie). Ainsi, elle est souvent utilisée pour la construction des voûtes et des encadrements d’ouvertures.
La castrum de Costechaude
Dominant le quartier de la ferme des Aygues, le site du castrum de Costechaude rappelle l’existence d’une organisation, antérieure à la commune de Montaulieu.
La première mention, repérée, de la seigneurie de La Batie Costechaude date d’avril 1231, à l’occasion de l’acquisition, par Raymond de Mévouillon, des fiefs de Sainte-Jalle, de la Bätie-Cote-Chaude et de l’affare de la Bâtie de Chapeiran (Soubeyran). Cette seigneurie relève alors du haut-domaine des Mévouillon, puis de celui des Montauban, avant d’intégrer le Dauphiné au début du XIVe siècle.
Toutefois, cette seigneurie était directement administrée par plusieurs familles qui la tenaient en fief de leurs suzerains. En 1267, elle est vendue par Raymond Roux, de Condorcet, à Raymond de Rastel et Bertrand d’Eyroles qui se partagent les terres et les droits acquis. Au XIVe siècle, ces deux familles sont encore présentes à la Bâtie-Coste-Chaude, mais les Eyroles reconnaissent désormais tenir leurs droits des Rastel. Vers 1330, le Dauphin abandonne temporairement une partie de ses prérogatives à un juriste de son entourage, Nicolas Constant, qui possède également les seigneuries de Châteauneuf-de-Bordette et de Bracosa (près des Pilles). Jusqu’à la Révolution, les Rémuzat, les Morges, les Rastel, les Thollon-de-Sainte-Jalle, les Gandelin, les Fortia et les Julien possèdent successivement cette seigneurie.
Toutefois au fil du temps, la forteresse , située sur un promontoire, est abandonnée (de façon probablement définitive au début du XVIe siècle) pour le site de Saint-Aubanet où le seigneur construit une grange qui concentre l’essentiel des bonnes terres.
La seigneurie de La Bâtie-Coste-Chaude contrôle, à l’époque moderne, le territoire le plus riche de la commune de Montaulieu. Un cadastre de 1707 permet d’en préciser les contours. Elle contrôlaient les terres situées à l’ouest du Rieu depuis Feuillans au nord jusqu’au sud de la ferme de Grange Vieille. Les terres situées à l’ouest de Peitavin et de la Blache lui étaient également rattachées. A l’est du Rieu, elle s’étendait au nord du ruisseau de Vire Masse et du Col de Sierry. Elle comprenait notamment le quartier de Saint-Aubanet et contrôlait aussi le quartier de la Baume, en contrebas du castrum, où on a retrouvé des traces d’habitat ancien. Une communauté d’habitants lui était associée et perdura jusqu’à la Révolution. En 1790, le territoire de la Bâtie-Coste-Chaude fut intégré à celui de la nouvelle commune de Montaulieu.
Le site du castrum, encore visible, est modeste : il couvre un secteur d’une cinquantaine de mètres d’est en ouest (bordé au nord d’un mur d’enceinte presque rectiligne) sur une vingtaine de mètres du nord su sud. Il est composé de trois parties. A l’est, une petite terrasse, triangulaire (10x15x20) permet de dominer l’a pic et la vallée du Rieu. A l’ouest, entre deux barres rocheuses, un espace, d’une vingtaine de mètres de côté, était certainement aménagé pour des constructions dont il est difficile de retrouver des traces à cause de la forte pente. A l’ouest de la deuxième barre, les vestiges des fortifications sont certainement les mieux conservés puisqu’on peut retracer le plan d’une enceinte quadrangulaire (15x20m environ). Les bases de murs conservées, construites parfois en arrêtes de poisson, sont généralement d’une largeur d’1,10 mètre. A l’extérieur de l’enceinte fortifiée, et au sud, existent les traces d’une construction maçonnée de 5 mètres de côté environ.
Au nord, à l’ouest et au sud du site, de nombreux pierriers montrent que ce château était construit avec des pierres trouvées sur le site, mais surtout avec des moellons provenant des falaises de calcaire burdigalien (calcaire coquiller). Les constructeurs sont ainsi allés se fournir à proximité et notamment aux abords de la butte de Coste-Chaude, située immédiatement au nord-est et en contrebas du castrum.